jeudi 26 juin 2014


Non, l’équipage du CMA CGM Platon ne m’a pas jetée par-dessus bord. Je n’ai pas non plus décidé de me cacher dans un conteneur pour rester plus longtemps à bord, même si ce n’est pas l’envie qui me manquait. Si je n’ai pas donné de nouvelles depuis mon arrivée, c’est que j’ai eu envie de savourer les retrouvailles, sans trop penser aux adieux dont elles sont toujours synonymes.


La traversée s’est très très bien passée et j’ai encore une fois trouvé le temps court. Finalement, je n’ai pas retrouvé le même équipage qu’à l’aller, car ils ont changé d’itinéraire et ne font plus la liaison Brésil-France. Je me suis retrouvée sur le Platon, un cargo deux fois plus petit que le Sambhar, idéal pour remonter la Tamise et la Seine.


L’équipage était composé pour un tiers de Roumains et deux tiers de Philippins. Cette fois-ci, j’ai passé plus de temps avec ces derniers. Au bout d’une semaine, j’ai demandé à manger avec eux, car je m’ennuyais dans le mess des officiers (comprendre « mess des Roumains », car la séparation se fait plus par nationalité que par grade). À nouveau seule femme à bord, j’ai encore été traitée comme une princesse (j’ai vraiment l’impression d’avoir écrit ça dans chaque article de ce blog... J’espère que je n’ai pas trop pris de mauvaises habitudes). Le chef cuisinier était amoureux de moi et redoublait chaque jour d’imagination pour décorer mon assiette de fleurs et animaux en légumes toujours différents. 





J’ai fait du karaoké en philippin, appris plein de tours de magie, scruté la mer pendant des heures depuis la passerelle, observé les manœuvres de déchargement et chargement du navire, regardé avec émerveillement des dizaines et des dizaines de dauphins accourir de toutes parts dans le détroit de Gibraltar pour jouer avec la quille, aperçu le rayon vert lorsque le soleil disparaissait derrière l’horizon, etc. Bref, j’ai encore une fois vécu des moments magiques, de ceux qui vous émeuvent jusqu’aux larmes et donnent l’impression que votre lobe temporal va exploser de tant de souvenirs extraordinaires à conserver. Je crois que ce deuxième voyage en cargo ne sera pas le dernier...























































Je n’avais donc aucune envie de débarquer et j’ai versé quelques larmes dans ma cabine avant de jouer à la dure en disant adieu à mes camarades de traversée d’une poignée de main ou d’une accolade, les yeux secs, mais le cœur noué. J’avais un peu peur de retrouver une vie « normale », aussi. Après neuf mois de voyage, c’est un peu effrayant de retrouver un quotidien plus monotone. Je me suis demandé si j’allais supporter de passer plusieurs mois au même endroit, sans rencontrer de nouvelles personnes tous les jours, sans parler de langue étrangère, sans découvrir plusieurs fois par jour des aspects inconnus d’une culture différente...


Puis j’ai posé le pied sur la terre ferme, et mes craintes se sont envolées. J’étais – je suis – contente d’être là. Finalement, ça fait du bien d’être dans un univers connu. Je redécouvre le plaisir de pouvoir se balader le nez en l’air sans avoir peur de se faire arracher son sac à main. Mon séjour au Brésil a été un peu difficile. Je ne me suis pas faite au profond clivage entre les riches et les pauvres ni au règne de la voiture. J’ai rencontré des gens absolument adorables, mais j’avais hâte de retrouver l’insouciance de ma vie quotidienne en France, qui me semblait aller de soi, mais qui s’est révélé être un luxe que tous n’ont pas. Ce n’était pourtant pas la première fois que je me baladais dans un pays où l’insécurité est élevée, mais c’est incontestablement au Brésil que je l’ai ressentie le plus.

Par contre, en relisant ce que j’avais écrit avant de partir, je réalise qu’aucune de mes craintes ne s’est réalisée : mon filleul a bien grandi, mais il se souvient de moi et j’ai même l’impression que la distance nous a rapprochés ; je me suis fait plein d’amis, des vrais, des gens vraiment super qu’il aurait été dommage de ne pas connaître et, à mon retour, j’ai retrouvé mes amis d’ici comme si on s’était quittés la veille, je n’ai donc rien perdu au change ; je me suis aussi rendu compte que j’arrivais à travailler dans des conditions vraiment pas idéales et j’ai fait rêver au passage plein de voyageurs qui enviaient ma chance de pouvoir partir à l’aventure sans mettre en péril ma situation professionnelle.

La conclusion est donc évidente : j’ai eu raison de partir. J’ai réalisé plusieurs rêves (traverser l’océan en cargo, visiter le Brésil et l’Argentine, voir des poissons-volants, etc.) et fait des découvertes dont j’aurais rêvé si j’en avais eu conscience avant (connaître Montevideo et les paysages sublimes du nord de l’Argentine, goûter à la chaleureuse amabilité des Brésiliens et à l’humilité joviale des Philippins, danser le tango, manger des kakis, etc.). Et si je meurs demain, la dernière image qui me viendra à l’esprit sera peut-être celle de Flor, mon hôte à Posadas, chantant à tue-tête avec l’accent argentin, le balai à la main : « Non, rien de rien, non je ne regrette rien ! »

vendredi 23 mai 2014

Embarquement imminent

Embarquement imminent. Le moment est venu de refaire mes adieux au continent américain. Après, j’aurai deux semaines en mer pour prendre le temps de faire le bilan des neuf derniers mois.

En attendant, je vais me contenter de raconter un peu mes dernières semaines. Mon séjour à Salvador da Bahia ne s’est pas trop mal passé, même si en tant qu’étrangère, j’avais la sensation d’être coincée dans le quartier touristique. Chaque fois que je tentais de m’en éloigner, on m’arrêtait en me disant « non, tu ne devrais pas aller par là, c’est dangereux ». Heureusement que le quartier touristique était vraiment beau !



À Recife, je pense que j’ai passé la pire semaine de tout mon voyage ! Le courant n’est pas particulièrement bien passé avec mon hôte. Ce sont des choses qui arrivent. Et, outre mon boulot, j’ai passé une bonne partie de mes journées à remuer ciel et terre pour trouver un médecin parlant anglais ou français pour remplir mon certificat médical pour la traversée. Moi qui pensais que ça n’allait être qu’une simple formalité ! J’ai passé des heures dans – et à attendre – les transports en commun, et ai été renvoyée de mains en mains comme dans la maison des fous d’Astérix. Ces mésaventures m’auront au moins donné l’occasion de visiter un hôpital brésilien. Toute une expérience ! J’ai eu la sensation d’avoir été catapultée à Calcutta. Des blessés ensanglantés sur des civières dans tous les coins, des gens perdus à l’air désespéré... Je ne me sentais pas trop à ma place avec mon petit certificat médical. Je suis finalement tombée sur une dame qui n’avait pas l’air surchargée de travail et a pris le temps de passer des coups de fil dans toute la ville pour me trouver une solution. C’est finalement l’agent de la CMA CGM de Recife qui m’a pris rendez-vous chez un vieux médecin qui baragouinait à peine quelques mots d’anglais et à qui j’ai dû traduire le certificat et dicter les réponses.



J’ai ensuite poursuivi ma route jusqu’à Natal, soulagée d’avoir enfin achevé toutes les formalités pour pouvoir embarquer. Walter et Bruna, mes hôtes de Natal sont très sympas et je passe des heures à débattre de tout et de rien avec Walter et à jongler entre l’anglais et le portugais selon que je parle à l’un où à l’autre. Je suis contente de finir mon voyage sur une bonne expérience, même si je vais quitter le Brésil avec plaisir, car ce n’est pas un pays fait pour moi (plus de détails dans le bilan à venir). J’ai aussi hâte d’être de retour en France, de retrouver famille et amis et un peu de stabilité et de sécurité (je crois que je me fais vieille !).

En attendant, comme à l'aller, vous pouvez suivre l'avancée de mon cargo sur http://www.marinetraffic.com. Cherchez le CMA CGM PLATON dans la barre de recherche et sélectionnez le "container ship", puis cliquez sur "afficher sur la carte en direct". Je ferai escale en Espagne, aux Pays-Bas et en Angleterre avant d'atteindre Le Havre et de remonter la Seine jusqu'à Rouen. Je devrais avoir de belle photos à mon arrivée...

dimanche 4 mai 2014

Rio de Janeiro - Vitória do Espírito Santo (... Amen!) - Salvador da Bahia


Toutes mes excuses pour ce long silence. Entre le boulot et les découvertes touristiques, je n’ai pas eu beaucoup de temps libre pour écrire. Après deux semaines à Iguazú, dont une accompagnée de Florencia, mon hôte de Posadas (c’est ce qui arrive quand une expérience couchsurfing se passe tellement bien qu’on n’arrive plus à se séparer), j’ai continué ma route vers Rio de Janeiro. Là, un petit conseil s’impose pour les freelances comme moi qui ont besoin d’un minimum de calme pour travailler : une auberge de jeunesse dans une favela de Rio, quelques mois avant la coupe du monde, ce n’est pas la meilleure des idées ! Mais j’ai miraculeusement réussi à faire abstraction du bruit des marteaux-piqueur, des cris des voisins et des discussions animées de mes camarades de chambrée. Heureusement, car ce n’est pas le boulot qui manquait et j’ai à peine eu le temps d’aller me balader sur les plages de Copacabana, Ipanema et Leblon... sous la pluie. Eh oui ! Il ne fait pas toujours beau à Rio.




Après une semaine aussi animée, j’étais bien contente de recevoir une invitation de João, un couchsurfeur de Vitória, à mi-chemin entre Rio et Salvador da Bahia. Je suis passée en quelques heures d'une petite maison de favela au 11e étage d’un immeuble avec gardien et femme de ménage, avec une chambre et un bureau pour moi toute seule, chouchoutée par un hôte qui m’apportait des fruits exotiques frais pour me donner du cœur à l’ouvrage. João s’est levé à 5h30 du matin pour venir me chercher à la gare routière et m’a préparé un petit-déjeuner de rois. Puis on est allés faire une balade à vélo, suivie d’un match de foot local (sans quoi mon expérience du Brésil n’aurait vraiment pas été complète) et, après un bon repas (préparé par la femme de ménage, bien sûr) et une courte sieste, on est montés à une Église en haut d’une colline qui surplombe la ville. Tout ça rien que pour la première journée. Je vous laisse imaginer le reste de la semaine. João a aussi été très patient avec mon portugais encore très bancal et j’ai énormément progressé en quelques jours.




À l'approche de la coupe du monde, les Brésiliens s'échangent des autocollants des joueurs de foots. Et les enfants ne sont pas les seuls à se prendre au jeu !













Les adieux ont encore une fois été difficiles, ainsi que la réadaptation à la vie d’auberge de jeunesse. Je suis maintenant à Salvador. La ville est très belle, mais mon quartier craint un peu. Je vais donc éviter de sortir le soir, ce qui limite un peu vu que la nuit tombe vers 17h30. Hier j’ai commencé à discuter avec un Uruguayen, ancien Tupamaro (mouvement d’extrême gauche auquel appartenait Pepe Mujica), qui a passé toute la période de la dictature uruguayenne en prison et m’a raconté plein d’anecdotes. On s’est baladés ensemble aujourd’hui, en parlant politique, voyages et dessin (il a appris à peindre en prison, pour passer le temps et m’a notamment expliqué comment il fabriquait de la peinture à l’huile avec les moyens du bord). Une rencontre intéressante qui m’a donné envie d’aller refaire un tour en Uruguay. Mais c’est vers le nord que je me dirige : prochain arrêt, Recife !


Salvador